Pour pouvoir un jour offrir un monde meilleur à nos polichinelles, il ne suffit pas de se déplacer en calèche ou de trier ses poubelles. Il s'agit d'abord et surtout de se sortir les doigts du cul – de bien se laver les mains, puis de retrousser les manches de son imper pour – à mon signal, tirer la chasse d'une avalanche finale façon cruelle et infernale...
Et il se trouve justement qu'avec mes fidèles potes de bistrot grand Jojo et Kiricard, nous sommes récemment parvenus à pointer le majeur sur ce qui nous laissait comme un arrière goût de pisse derrière la glotte depuis que Ronald Reagan avait abandonné la politique pour faire du cinéma : j'ai nommé le fric et les médias.
- "C'est moi qui lui ai tout appris".
Alors pour marquer un grand coup, on avait d'abord pensé à attaquer l'Empire State Building avec un gorille gigantesque et suicidaire ramené d'une île inconnue et non moins pittoresque, mais on se doutait bien que ça ne suffirait pas à faire flancher l'économie qui se trouvait être à la tête de la plus puissante armée de la planète. Avec les réminiscences encore un peu fraîches du 11 septembre, on craignait surtout que la classe dirigeante américaine ne finissent finalement par s'approprier les fruits de cet attentat – genre en envoyant sa cavalerie en Iran ou au Vénézuela, même si cela aurait par ailleurs eu l'intérêt de préserver notre anonymat.
Nous n'avions malheureusement pas non plus eu de chance au tirage au sort qui permet de remporter l'une 50 000 green cards mises en jeu chaque année par la fine équipe de Dick Cheney, et je vous laisse imaginer qu'il est depuis fort loin d'être aisé de passer la frontière étasunienne, spécialement avec une gueule de métèque et un passeport français...
Du coup, on a décidé de frapper là où ça fait généralement le plus mal ; non loin du cœur – à un point névralgique qui rend généralement les femmes folles de désir en flattant leur orgueil ; je veux bien sûr parler du portefeuille. Tout de suite après Fort Knox et les fonds de pension américains, ce n'est autre qu'en Suisse que termine l'argent des fils de l'oncle Sam et même de tout le gratin européen, et la destruction de la patrie de Stephan Eicher présenterait donc de fait, l'avantage de remettre à zéro les compteurs bancaires de la plupart des épargnants de la planète Terre...
Je voulais simplement épargner en paix...
C'est partant de ce postulat certes quelque peu ostentatoire – entre un cuba libre et deux rhums coca, que fut prise la décision unanime d'effacer définitivement la Confédération helvétique des pages embrumées de cette sombre histoire, après bien sûr avoir pris soin de vider nos comptes bancaires ; humanistes, mais pas suicidaires.
Nous avions d'abord envisagé de nous procurer quelques barrettes d'uranium enrichi auprès des terroristes en babouches qui menacent le monde libre le cutter en bandoulière. Et après nous être laissé pousser la barbe en suivant un régime draconien à base de porc hallal et autres batlawas, nous avions même prévu de nous diriger vers l'Afghanistan histoire de nous rapprocher de la branche islamiste d'Al-Quaida.
Mais compte tenu des faibles moyens financiers dont nous disposions, nous n'eûmes finalement d'autre choix que de concentrer nos efforts sur une bombe de type artisanale. Quelques clous rouillés et pointus des deux côtés, un vieux stock de Timor (nouvelle formule), un reste de tartiflette, une bonne dose d'amour et de savoir-faire, et nous fûmes bientôt les fiers propriétaires d'une bombe expérimentale plus communément dite sale.
J'ai 8 secondes pour vous dire que c'est pas de la dynamite...
Passer la frontière ne présenta aucune difficulté particulière – la plupart des gardes-frontière suisses œuvrant désormais pour le compte du Vatican depuis le 15e siècle au demeurant... Et une fois en place en plein cœur du quartier financier de leur plus belle cité, nous envoyâmes Kiricard qui souffrant d'une forme aggravée de polydipsie caractérisée, accepta de s'immoler pour la bonne cause contre une ultime tournée de boisson anisée depuis le local à poubelles d'une tour quelconque de cette vaste merveille architecturale...
Le sacrifice d'un seul d'entre nous était nécessaire, et tandis que Kiricard noyait Genève sous les flammes, grand Jojo et moi-même étions déjà dans le TGV qui nous éloignait de ce drôle de drame – paix à son âme.
C'est ainsi, mes amis – avec un peu d'astuce, d'espièglerie, que fut anéanti l'un des pays les plus riches de la planète. Vous pouvez d'ailleurs le vérifier de ce pas par vous-même en consultant un livre d'histoire, votre compte bancaire, ou même une quelconque carte de territoires ; la Suisse n'existe plus, et les moins de 20 ans que vous avez la chance de connaître risquent même de n'avoir jamais entendu parler de cette antique contrée qui fait désormais partie d'un chapitre écorné de notre passé.
Meurs, pourriture capitaliste...
Pour les médias, ça a été un peu plus compliqué que ça. Nous avions à la base prévu d'annihiler tous les satellites artificiels qui gravitent autour de notre planète avec un virus d'origine bulgare, mais les compétences du plus calé d'entre nous dans le domaine informatique se limitant à faire du coloriage avec Paint et sous Vista, nous dûmes finalement nous rabattre sur la construction d'un engin spatial qui muni d'un laser silencieux et totalement incolore, se chargerait de détruire un par un ces engins démoniaques qui polluent par ailleurs depuis trop longtemps la constellation du zodiaque.
Pour le gros du travail, on dût se contenter des pièces détachées de la Volvo de grand Jojo et du moteur de ma vieille 103 SP – notre rayon de la mort nous ayant quant à lui été fourni par la Corée du Nord. Puis l'engin fut recouvert d'une fine pellicule de papier d'aluminium qui nous permettrait de survivre aux particules hautement cancérigènes de la fameuse ceinture de Van Halen.. Consommant exclusivement de l'huile d'olive de premier choix (vierge extra, extraite à froid), notre navette spatiale avait par ailleurs l'avantage de voler bio – tiens-je tout de même à rassurer ceux qui parmi vous se trouveraient être de fervents écolos.
Le décollage s'effectua sans encombres et dans l'intimité d'un endroit qui sera gardé secret pour votre propre sécurité, mais voguant depuis peu dans l'espace intersidéral, un vaisseau d'origine interplanétaire tenta d'entrer en communication avec nous dans la langue de Molière. Il s'agissait à en juger par leur accent caractéristique d'une navette de Vénusiens qui d'un ton menaçant, nous intimèrent de faire demi-tour afin que nous trouvâmes sur Terre le jour qui avait été fixé par leurs aïeux pour l'anéantissement final de la planète bleue.
Ça va bien se passer...
Habitant la deuxième planète du système solaire, les Vénusiens sont de grands rouquins – barbes fleuries et étuis péniens, qui goûtent peu à toute forme de dialogue traditionnellement dit urbain. Ils sont généralement connus pour être des gens droits et courtois, mais face aux maigres perspectives économiques qu'offrait notre planète, ils avaient récemment décidé d'éradiquer toute forme de vie sur Terre ; une date avait même été fixée pour le coup, fin 2012, et plus précisément le jour du solstice d'hiver.
Voyant qu'on ne pouvait pas discuter avec eux, le sang de grand Jojo ne fit qu'un tour avant qu'il n'enfile sa combinaison d'escrime et qu'il ne s'arme de sa mitraillette camembert – fier souvenir des 216 jours qu'il avait jadis passé à la légion étrangère, pour s'élancer dans le froid glacial de l'éther intersidéral afin d'arroser le vaisseau extra-terrestre d'une rafale expiatoire et non moins péremptoire.
Le réacteur principal du navire vénusien ayant été gravement touché par cet assaut des plus osés, je ramenais un grand Jojo larmoyant de stalactites à l'intérieur du cockpit avant d'appuyer sur le champignon comme un maquignon. Et quelques coups d'accélérateur plus tard, nos poursuivants ne furent plus qu'un point de mire dans l'horizon de notre rétroviseur avant de disparaître définitivement de nos GPS et autres radars.
Putain, ce que je leur ai mis !
Nous avions désormais champ libre pour nous acquitter de la deuxième partie de notre mission... mais nous eûmes beau chercher aux quatre coins du système solaire, aucun satellite ne gravitait plus autour de la planète Terre ; à croire que quelqu'un nous avait doublé pour se charger du boulot quelques heures plus tôt...
En se penchant de plus près sur le dernier rapport de notre ordinateur de bord, nous réalisâmes que la dernière accélération de notre vaisseau avait été telle que nous avions réalisé l'exploit de dépasser la vitesse de lumière, pliant ainsi l'espace-temps aux confins infinis tel un vulgaire origami...
Ce n'est qu'une fois de retour sur la planète Terre que nous eûmes confirmation que ce fulgurant déplacement nous avait fait – sans mentir, ressurgir pour notre grande surprise du côté sombre de l'avenir...
Et quitte à décevoir ceux d'entre vous qui souhaiteraient le savoir, il n'y a dans le futur plus une seule âme qui vive sur Terre – pas un chat ni même le moindre singe vert. Tous les bistrots ont fermé, et il n'y a plus non plus la moindre gonzesse à se mettre sous la dent alors qu'il faudrait pourtant bien se charger de repeupler la planète Terre, comme me le fit remarquer à juste titre mon dernier compère...
Nous prenions désormais tant que faire se peut nos marques sur cette terre vierge et illusoire, mais depuis quelques jours, grand Jojo commençait à me regarder de façon bizarre – plus tout à fait comme avant, remarquais-je par hasard... Alors par une nuit sans étoiles, je décidais de plier les gaules – prenant les commandes de notre engin spatial en tapinois en l'abandonnant seul à son émoi.
Me voilà donc m'élançant dans la nuit qui se déchire en vieux loup solitaire. Je mentirais si je vous disais que je n'ai pas le cigare au bout des lèvres, mais à l'instar de la vérité, j'ose espérer qu'une âme sœur prompte à m'offrir quelque successeur m'attend elle aussi quelque part ailleurs...
J'ai demandé à la Lune, mais elle s'est moquée de moi...
L'abbé Decker