Il y a 9 semaines et des poussières, c'était la fin du monde ; l'achèvement d'une ère qui devait marquer la fin d'environ 90% des formes de vie qui foisonnaient jusqu'ici sur la planète Terre...
Tout commença si je me souviens bien, le jour où Ahmadinejad traita son homologue américain de petit âne bouffeur de merde dans un communiqué de presse d'Al Jazeera.
J'ignore ensuite le nom de l'enfoiré qui déterra le tomahawk des hostilités en pressant le bouton rouge et luisant de sa malette atomique, mais c'est officiellement plus ou moins comme-ça que débuta la troisième guerre mondiale, et que la France essuya sur la lancée la toute première attaque nucléaire de son histoire. Une vaste explosion champignonique qui frappa le pays des idées de plein fouet, transformant tous ses habitants ou presque – du moins ceux qui n'avaient pas eu la chance d'être cloîtrés chez eux au moment des faits, en autant de merguez comme qui dirait grillées à souhait.
Ce qui nous faudrait, c'est une bonne guerre...
Et le problème majeure avec une bombe de type nucléaire qui vous pète à la gueule – pour ceux qui l'ignorent, c'est que les rares survivants doivent généralement laisser pisser un peu d'eau sous les ponts après le jour de l'explosion, avant de pouvoir se remettre à pique-niquer par terre...
J'avais pour ma part disposé de quelques années pour me préparer psychologiquement à cette période de disette, surtout depuis le temps qu'on nous rabattait les oreilles avec la fin du calendrier suisse et la sortie de toute une tripotée de films alarmistes et post-apocalyptiques qui cartonnaient au box-office.
Et même si certains me traitaient jadis de psychotique à tendance parano, je me disais que j'avais tout de même bien fait de stocker flotte, vinasse, pâtes aux œufs et sauce tomate dans l'expectative de cette sinistre catastrophe. Les têtes de pine qui me traitaient d'affreux paresseux parce que je suis un inconditionnel des grasses matinées (portable éteint, volets fermés) devaient aussi bien moins se marrer maintenant qu'ils bouffaient les pissenlits par la racine...
On est peu de chose, finalement...
Ayant dû récemment me séparer de mon frigo américain, je fus malgré tout contraint de limiter mon approvisionnement à ce que mes modestes placards à balais pouvaient emmagasiner. Alors au début de la semaine suivant ces sombres événements, je n'avais déjà presque plus rien à me mettre sous la dent, et dus donc me résigner à descendre au deuxième étage de mon immeuble histoire d'essayer de filouter un peu de bouffe à mes voisins – ce qui ne vous semblera sans doute pas très aristocratique au demeurant, mais croyez bien que la faim justifie parfois pleinement ce type de moyen.
S'imaginant être les derniers survivants de la planète Terre, la bande de joyeux fêtards estudiantins qui habitait juste en dessous de chez moi depuis quelques mois m'accueillit des plus chaleureusement lorsque je carillonnais à leur porte pour leur proposer – des plus cordialement s'entend, une petite partie de jeu du foulard histoire de tuer l'ennui, de tromper un peu le temps... Et lorsque le dernier d'entre eux sombra dans un repos sempiternel, je m'emparais sournoisement de leurs packs de bières et autres pizzas, bonbons Haribo, boîtes de conserve, etc.
Voyant ensuite fondre à vue d'œil son maigre stock de croquettes au canard, je n'eus malheureusement d'autre choix que de faire son affaire à mon propre chat – que j'égorgeais dans ma baignoire avant de le transformer en mini méchoui fourré au chocolat. Ne souhaitant pas particulièrement m'attarder sur cet épisode larmoyant, je tiens tout de même à préciser à ceux qui seraient tentés de me le demander, qu'un minet... ça a en effet plus ou moins le goût du poulet.
Quelques jours plus tard, je me décidais à rendre une petite visite de courtoisie au charmant couple de personnes âgées qui habitait au premier ; une bigote aux cheveux ras qui avait épousé jadis un ancien nazi spécialisé dans la torture de jumeaux monozygotes. Face à la méfiance qui caractérise habituellement les bonnes gens qui n'ont plus toutes leurs dents, je m'occupais directement de leur cas à grand coups de bottes et de hache pour récupérer un bol de soupe aux petits pois, un pot de chambre empli d'un délicieux jus de pomme de verger, sans oublier quelques précieuses pilules de Viagra.
Jusqu'à ce que la mort vous sépare...
Emprunt d'une cruauté sans faille, songeant sans doute d'un air bravache que le grand ménage de printemps n'était pas encore tout à fait terminé, le démiurge lança ensuite une généreuse pluie de météorites sur le plancher des vaches, grillant au passage les rares survivants qui s'étaient risqués à sortir leur nez dehors sans doute en quête de denrées oubliées dans quelque rayon de supermarché...
N'étant pas particulièrement porté sur la chair humaine cuite à point, je me surpris les jours suivants à boulotter tout ce qui pouvait me tomber sous la main : vieilles factures, crottes de nez, sacs plastique, boulettes d'entre les doigts de pieds.
Mon estomac ne s'exprimant désormais plus que par d'inquiétants gargouillis, je m'étais finalement résolu à manger l'une de mes mains et à garder l'autre pour demain lorsqu'éclata soudain un signe mystique que je qualifierais presque de gnostique ; une sorte de tonnerre mécanique suivi d'une pluie torrentielle qui déchira le ciel, ne laissant rien présager de bon pour les 40 jours et 40 nuits qui suivraient le rythme effréné de cet inquiétant récit...
Le niveau de l'eau léchant promptement la façade de mon bâtiment, j'eus à peine le temps de démonter l'armoire normande qui trônait jusqu'ici dans un coin de mon salon pour la transformer en solide embarcation, avant de me lancer en direction du fier massif montagneux que j'avais choisi comme objectif – le ventre vide et le cœur avide d'un avenir sans aléas.
Commande-nous des chaussures de golf ou on sortira pas d'ici vivants...
Pensant être alors le dernier homme en vie sur cette planète, quelle ne fut pas ma surprise d'être accueilli par une bande de survivalistes aux allures de brigands et armés jusqu'aux dents pour la chasse au fennec, qui se firent d'abord un devoir de me fouiller en bonne et due forme avant de m'adresser d'obséquieuses et non moins brèves salamalecs.
Je pus ensuite être escorté jusqu'à la grotte de leur chef, un ancien colonel de la campagne algérienne qui jouait avec entrain une sombre nocturne de Chopin sur un piano en bois d'ébène... Après m'avoir invité à partager son couvert, celui-ci m'expliqua que je serais le bienvenu au sein de sa tribu, à condition de me plier à ma part de tâches ménagères ainsi qu'à l'effort de guerre qui opposait désormais les rares survivants de la race humaine à un danger sans précédent. Une lutte sans merci – à la vie, à la mort, contre la seule race animale dominante qui avait survécu aux événements ayant récemment frappé la planète Terre ; une meute implacable dont la seule évocation faisant désormais trembler grottes et chaumières – j'ai nommé les redoutables représentants de la race des singes verts...
Encore eux ?!
La plupart des survivalistes que j'eus l'occasion de rencontrer n'étant qu'une bande de consanguins alcooliques et attardés, j'entrais rapidement dans les petits papiers du vieux sage qui les guidait à travers les inquiétants mystères qui menaçaient désormais l'humanité – espérant sans doute inconsciemment par ailleurs, hériter un jour des pouvoirs illimités qui émanaient de son autorité naturelle...
Je fus ainsi systématiquement invité à partager sa pitance du soir jusqu'à une nuitée particulièrement avinée où le vieux chef me mit dans la confidence de son projet top secret...
Cherchant de nouvelles sources de nourritures dans les grottes alentours, ses hommes étaient en effet récemment tombés sur une découverte qui offrirait peut-être à l'Homme la chance de se refaire dans un coin de l'espace et du temps on ne peut plus éloigné de la précarité qui l'obligeait dès lors à subsister tel un damné banni des jardins éthérés ; une sorte de vortex spatio-temporel, porte des étoiles sans doute d'origine extraterrestre qui menait directement à un territoire vierge et illusoire, certes toujours sur la planète Terre, mais au temps mystique et béni de la noble Grèce antique.
Là-bas au moins, on sera peinard...
Nous partagions quelques soirs plus tard un autre de ces festins de fortune lorsqu'un troublant tintamarre provenant des abords de notre camp m'informa soudain que des événements notoires viendraient très vite troubler le rassurant train-train de notre quotidien précaire ; des coups de feu bien nourris suivis d'affreux cris d'agonie annonçant – comme je n'allais pas tarder à l'apprendre, l'attaque ultime et létale de la section d'assaut final des singes verts.
J'eus en effet à peine le temps de remettre de l'ordre à mes cheveux qu'un primate à l'allure furibonde fit une entrée théâtrale dans notre caverne – les dents dehors et le teint blafard, armé surtout d'une de ces fameuses mitraillettes camembert d'avant-guerre...
Lorsqu'il voulut faire feu sur moi, son arme s'enraya – ce qui sembla le mettre hors de lui tandis que je venais pour ma part de revoir le film de ma vie... Dans un cri de rage des plus oppressants, il s'acharna ensuite à détruire le piano du vieil homme à coups de crosse d'une violence rare ; peut-être que les singes verts n'aiment pas particulièrement la musique – m'étais-je alors dit d'un air mélancolique...
Se saisissant courageusement d'une corde à piano qui avait atterri sous son nez – sans doute dans l'espoir un peu fou de s'en faire un lasso qui renverrait cette bête furieuse à sa simple condition d'animal, l'antique chef de camp tenta bien de s'interposer face au hargneux petit macaque, mais compte tenu de son âge canonique et de la violence du combat qui s'ensuivit, il succomba finalement et à mon grand dam, aux palpitations mortifères d'une fatidique crise cardiaque...
Argl... Monde de merde...
Tétanisé par l'angoisse, je ne constituais désormais plus qu'une cible sans plus d'intérêt que de la simple chair à boulets. Et c'est sans doute pourquoi l'horrible sagouin se contenta de récupérer la corde à piano dans la main du vieil homme qui semblait désormais être en passe de parapher sa propre épitaphe, avant de se carapater à quatre pattes et ventre à terre en direction des profondeurs de la grotte.
Au dehors, l'armée simienne semblait avoir prit un avantage certain sur cet affrontement critique, pus-je en conclure au son des cris d'horreur qui se faisaient désormais de plus en plus rares depuis l'extérieur.
Je me décidais donc à suivre l'anthropoïde au plus profond de la caverne – progressant aussi discrètement que me le permirent mes genoux grelotants, où je l'aperçus finalement s'affairant vaguement autour d'un immense cercle de pierre comportant mille sortes de hiéroglyphes et autres inscriptions hermétiques – sans nul doute possible l'étrange machine à voyager dans le temps dont j'avais tant entendu parlé au cours des soirées précédentes.
Ne pouvant réprimer une exclamation d'effroi face à ce troublant spectacle, le singe vert s'aperçut de ma présence sans doute un brin trop tard pour qu'il ne s'occupe de mon cas une bonne fois pour toute, car la curieuse machine semblait désormais activée et prête à fonctionner. Il m'adressa finalement un bras d'honneur avant de cracher par terre, et se jeta dans le halo de lumière qui venait d'apparaître – un sourire moqueur et narquois au coin des lèvres...
Haut les pattes, vous êtes cernés !
J'entends des bruits de va-nu-pieds approcher ; la bataille semble bel et bien perdue, pour ne pas dire la guerre. Sentant désormais approcher mon dernier tour d'horloge, je me saisis d'un vieux draps mité qui traînait par terre pour m'en faire une toge avant de me lancer dans l'inconnu du gouffre de l'espace temps – le cœur vaillant, l'âme en peine, et la tête la première...
Fin de la transmission...
L'abbé Decker